Alors que plusieurs initiatives commencent à converger pour tenter de faire revivre le sanatorium de La Châtelaine, sur les hauteurs de la commune de Bergesserin, revenons rapidement sur l’histoire singulière de cette construction hors-normes pour une commune de 200 habitants.
Depuis sa construction, le sanatorium de Bergesserin est un bâtiment un peu maudit… Sa construction démarre après une période de réflexion lancée dès 1919. Après avoir longtemps cherché des partenaires pour financer cet établissement public dédié au traitement de la tuberculose pulmonaire (maladie qui fait des dizaines de milliers de morts en France à cette époque), le conseil général de Saône-et-Loire s’associe en 1931 avec l’Aube, la Haute-Marne et l’Yonne, départements voisins bien que non limitrophes.
Plusieurs lieux sont envisagés pour accueillir cet établissement pour femmes (les hommes étant hospitalisés au sanatorium de La Guiche, une station sanitaire initialement prévue pour accueillir les tuberculeux de retour des tranchées pendant la Grande Guerre) : le préfet de Saône-et-Loire visite des terrains à Jalogny, Trivy et Dompierre-les-Ormes, avant d’arrêter son choix sur le plateau de La Châtelaine.
Le chantier est confié à l’architecte départemental Frédéric Bidaut, qui le suivra non sans mal pendant plus de dix ans. En plus du sanatorium proprement dit, le projet comprend plusieurs bâtiments annexes, maisons et immeubles pour le personnel. Un accès depuis la gare de Clermain est également envisagé, pour faciliter les trajets des malades, de leurs familles et du personnel.
Les premiers terrassements débutent en septembre 1932, et le sanatorium fait déjà parler de lui dans les gazettes. Le 14 juin 1933, un ouvrier dénommé Ionez fait « une découverte sensationnelle » : une pépite d’or émerge du sous-sol de la Châtelaine ! « L’analyse effectuée à l’usine de Saint-Gobain à Châlons [sic !] a établi que l’argile du terrain contenait un pourcentage d’or considérable », rapporte l’Echo d’Alger dès le lendemain.
Qu’est-il advenu de cet or (s’il a réellement existé) : mystère ? Car la construction reprend rapidement, avec son lot de déboires : le sous-sol argileux nécessite de placer le sanatorium sur pilotis, puis de nombreux accidents émaillent le chantier, la coordination des entreprises fait défaut et les départements copropriétaires mettent parfois de longs mois avant de se décider sur les dépenses à réaliser en priorité… Le budget explose, et passe de 10 à 18 millions de francs, sans compter l’aménagement intérieur.
À partir de 1939, la Seconde Guerre mondiale donne un coup d’arrêt au chantier, qui reste à l’abandon pendant plusieurs années.
Début juillet 1944, un maquis s’installe sur les hauteurs de la commune, dans le bois des Cadoles, en limite de Château. Il est constitué d’une centaine de jeunes gens « évadés » des Chantiers de jeunesse de Cormatin et Paray-le-Monial, sous les ordres du commandant du Chauffaut, un ancien Saint-Cyrien.
Alors que l’occupant est de plus en plus mis à mal par la Résistance en Saône-et-Loire, le commando de Bergesserin investit le chantier du sanatorium dans la nuit du 2 au 3 août 1944, au retour d’un énième parachutage de matériel par les Alliés à Mont-Cortevaix. Le commando participe ensuite à la bataille du Bois-Clair le 11 août, à la libération de Sennecey-le-Grand le 4 septembre, puis à celles de Chalon et Beaune les jours suivants.
Le 13 septembre 1944, les différents maquis du Mâconnais-Clunisois se regroupent au sanatorium de Bergesserin : 850 volontaires signent ce jour-là leur engagement dans le commando de Cluny, futur 4e bataillon de choc. Quelques jours plus tard, le 20 septembre, le commando commence son mouvement vers Besançon pour intégrer l’armée B du général de Lattre de Tassigny, principale force française de libération. Le 26 septembre 1944, le sanatorium est à nouveau totalement vide.
Le chantier est repris en décembre 1945 par un nouveau duo : l’architecte Henri Palazzi remplace Frédéric Bidaut, sous la direction du préfet Lucien Drevon. Malgré de grandes difficultés surmontées grâce à une mobilisation sans précédent, les 16 premières patientes sont accueillies le 7 février 1946 dans un bâtiment encore largement inachevé. Qu’à cela ne tienne, le sanatorium interdépartemental de Bergesserin est officiellement inauguré le 14 avril par le ministre de la Santé publique du général de Gaulle, Robert Prigent, en visite dans le Charolais.
Dans les faits, l’établissement manque encore de mobilier, de matériel médical et même de charbon pour se chauffer. Patientes et personnel subissent des pénuries d’eau et des coupures d’électricité régulières, et il n’y a pas assez de logements disponibles pour les 90 employés présents sur le site. Il faut attendre janvier 1948 pour que le sanatorium puisse ouvrir à pleine capacité (210 patientes) et 1952 pour le chantier soit enfin achevé !
L’histoire aurait pu s’arrêter là, si Bergesserin ne devait pas (déjà) penser à sa reconversion. Avec la découverte en 1943 de la streptomycine, premier antibiotique qui permet la guérison de la tuberculose, l’établissement se cherche une nouvelle destination. Son emplacement à l’écart des grandes villes, nécessaire pour isoler les malades du reste de la population et leur faire bénéficier de longues cures de soleil et d’air pur, ne facilite pas sa reconversion. Il est question d’ouvrir le sanatorium aux hommes, puis d’en faire « un asile de vieillards » ou une « pension pour enfants attardés », selon le docteur Eugène Aujaleu, directeur général de la Santé publique, qui visite le site en 1961.
Au fil des années, l’établissement accueillera des malades chroniques, une maison de repos, une unité psychiatrique, un service d’ergothérapie, et finira par devenir un centre de moyen et long séjour, avec une unité de soins de suite et de réadaptation. Une piscine de rééducation en forme de fer-à-cheval est même construite en sous-sol, à la place de l’ancienne lingerie.
De nombreux travaux sont ainsi effectués dans les années 1980-1990, afin d’améliorer le confort des malades et tenter de reconvertir un bâtiment dont l’architecture, entièrement tournée vers le traitement de la tuberculose, le rend inadapté à la médecine du 21e siècle.
À partir de 1985, les deux galeries de cure supérieures sont reconverties en studios pour loger sur place les infirmières et aides-soignantes. Dans le même temps, l’aile de l’infirmerie située près de l’entrée (et la seule à disposer de chambres individuelles dès l’origine) connaît une adaptation complète aux normes des hôpitaux modernes. Dans les grandes ailes est et ouest du bâtiment, les chambres à trois lits sont progressivement détruites, et des salles à manger sont aménagées dans chaque unité, pour éviter aux malades de se rendre dans l’immense réfectoire commun.
Malgré cela, depuis le rattachement de Bergesserin au centre hospitalier de Mâcon le 11 mars 1974, la question de la survie du sanatorium devient de plus en plus pressante. Le manque d’entretien des citernes fait craindre pour l’approvisionnement en eau, de plus en plus de tâches sont externalisées (buanderie, restauration), des ailes du bâtiment ferment progressivement. Las, malgré la mobilisation des élus et des associations, qui iront jusqu’à interpeller Bernard Kouchner (alors secrétaire d’État à la santé de Martine Aubry) à l’assemblée nationale en mai 1998, l’hôpital de Mâcon décide la fermeture définitive de Bergesserin. Le dernier patient quitte les lieux le 15 juin 2008.
Avec lui, c’est tout le personnel, dont beaucoup vivaient sur place, qui part en direction du plateau technique central des hôpitaux de Mâcon. Cette absence s’accompagne de celles des familles qui visitaient leurs proches, et finalement de la fermeture des quelques commerces du bourg (épicerie et hôtel). Confidentiel, le lieu continu d’être entretenu et maintenu hors gel quelques années, grâce à un gardien qui vit sur place, et « fait tourner » le bâtiment.
Les hôpitaux de Mâcon envisagent alors de liquider progressivement le site et son mobilier, qui est trié pour être recyclé ailleurs, donné ou jeté. Mis en vente pour 1,5 millions d’euros, le sanatorium ne reçoit (évidemment, serait-on tenté de dire), aucune offre. Même les pavillons individuels qui s’étalent le long des pentes de La Châtelaine, peinent longtemps à se vendre.
Après 2010, les premiers explorateurs urbains visitent le lieu, conservé dans son état. Le sanatorium de Bergesserin reste encore un lieu connu des seuls initiés pendant quelques années, et bien préservé par des visiteurs respectueux qui ne laissent presque aucun dégât derrière eux. Mais en 2012, tout s’accélère, avec la publication sur internet de photos de l’intérieur du bâtiment et décrivant très précisément sa localisation. Dès lors, le sanatorium devient un terrain de jeu de visiteurs pas toujours respectueux.
Une première tentative d’occupation artistique du site a lieu en mai 2015, lorsque le festival Pépète Lumière pose son chapiteau pendant quelques jours dans les pelouses laissées à l’abandon. Une mise en lumière inédite de la façade, rappelant les couleurs des stores d’origine disparus, met en scène le bâtiment comme jamais auparavant. Las, cet éclairage bienvenu sur un lieu qui ne demandait qu’à revivre engendre de nouvelles visites malveillantes : dans l’été qui suit, pas moins de cinq cambriolages ont lieu dans le village.
Abandonné aux pillards et ouvert aux quatre vents, le bâtiment est vandalisé des greniers aux sous-sols, notamment par des voleurs de cuivre qui démontent méthodiquement tous les réseaux du bâtiment, sans prendre la peine de se cacher. Des free party sont organisées sur le site, mais aussi des parties de paintball ou d’autres activités aux mises en scène fort peu respectueuses de la mémoire des lieux.
Rapidement, plus aucun mobilier ne subsiste en état. Une partie des archives a pu être sauvée, le reste est éparpillé partout, y compris les dossiers médicaux et les affaires personnelles des derniers malades. Dans les laboratoires, les placards renferment encore de la pharmacie, dont des poches à perfusion et des boites entières de seringues qui sont éparpillées partout. Autrefois lieu de promenade dominicale, le sanatorium devient un no man’s land, où les habitants du village ne se risquent plus, de peur de se blesser ou de faire de mauvaises rencontres…
En 2017, l’hôpital de Mâcon prend la décision radicale de liquider le site, et maçonne à la va-vite les ouvertures les plus accessibles, ce qui ne fera que renforcer l’attrait des amateurs de sensations fortes à peu de frais, qui diffusent toutes sortes de légendes urbaines à propos du site sur les blogs et réseaux sociaux. Sans aucune logique, l’administration rouvre le bâtiment quelques mois plus tard à une société d’airsoft qui vient jouer à la guerre dans le sanatorium… et laisse derrière elle des centaines de milliers de billes de plastique dans les salles et les jardins.
Plus grave encore, des incendies volontaires achèvent de détruire la salle du théâtre, et des tuiles arrachées pour monter sur les toits laissent désormais pénétrer l’eau jusqu’au plus profond des bâtiments.
Malgré plusieurs projets, dont certains complètement fous, aucune reconversion ne paraît concrètement envisageable. Sa conception en béton armé obère toute hypothèse sérieuse de déconstruction, sans compter le désamiantage et la dépollution du site. Sans être classé, le sanatorium de Bergesserin est toutefois inscrit à l’inventaire général du patrimoine culturel régional comme un bâtiment représentatif de son époque, et les habitants de Bergesserin et du Clunisois y restent malgré tout attachés.
En juillet 2022, à la demande de la Communauté de communes du Clunisois, l’Établissement public foncier Doubs BFC acte le rachat du bâtiment pour la somme dérisoire de 1000 €, faisant suite à des premières initiatives de nettoyage et d’activités sur le site par un collectif d’habitants, d’associations ou de porteur de projets. Le site reprend vie progressivement avec l’installation d’activités artistiques et économiques dans les murs, et d’habitats légers au dehors.
Après avoir connu bien des péripéties depuis sa création, le sanatorium de Bergesserin peut-il connaître une nouvelle vie qui soit à la fois viable économiquement, durable, respectueuse de son histoire et de son environnement ? C’est tout l’enjeu du moment…